Anecdote tirée du récit de vie de Monsieur Bernard Guillorel.
L’amiral au volant, son chauffeur à l’arrière.
« Embarqué sur le Guichen, j’avais pour mission de conduire l’Amiral lorsque nous étions à terre. Ce
jour-là, nous nous trouvions à Las Palmas, aux Canaries. Avec les autres chauffeurs, nous avions
conduit différentes personnalités au restaurant, à haute altitude. Mes collègues commencèrent à
plaisanter avec moi, « le Français de service », et proposèrent de trinquer à notre rencontre. Je ne
buvais jamais d’alcool mais ils se montrèrent si insistants que je me laissai tenter par un verre
d’anisette. Malheureusement, la chaleur et l’alcool eurent très vite raison de moi. J’étais bel et bien
ivre. Lorsque je voulus démarrer, je calai. Je recommençai, je calai à nouveau. Au bout de la troisième
tentative tout aussi infructueuse, l’Amiral, qui avait parfaitement analysé la situation, descendit de la
voiture et m’ordonna de m’installer à l’arrière tandis qu’il prenait le volant. Lorsque nous arrivâmes
au bateau, il s’arrêta devant la passerelle qui lui était réservée pour monter à bord, près de laquelle
se produisaient pour lui faire honneur, deux ou trois joueurs de biniou du Bagad de Lann-Bihoué.
Tous crurent avoir la berlue ! L’Amiral au volant et son chauffeur à l’arrière. Très digne, il descendit
de la voiture, gravit les marches droit comme un I tandis qu’une bonne âme vint me récupérer afin
que je puisse me remettre de cette « cuite » mémorable, la première et la dernière de toute mon
existence. Le lendemain, nous appareillions à huit heures. Autour de moi, j’entendais des murmures :
« eh bien, je ne voudrais pas être à sa place » ! Je fus appelé par le chef d’état-major qui
m’annonça que l’Amiral voulait me voir. Ce dernier me demanda combien de temps il me restait
avant la fin de mon service militaire. « Cinq mois » lui répondis-je. « Nous avons parcouru ensemble
tout ce temps sans accrocs jusqu’à hier » me fit-il remarquer. « Je me suis fait piéger » lui dis-je,
humblement. « Je l’ai bien compris. J’espère que cela ne se reproduira plus. Maintenant, sortez !»
Ainsi se termina ma mésaventure qui, grâce à l’indulgence de l’Amiral, ne fut même pas sanctionnée.
Mais cet incident me servit de leçon pour le reste de ma carrière. »