Hélène Dorigny : la tête dans les nuages

Naissance d’une passion
Rien, dans sa vie de jeune rémoise, ne prédisposait Hélène à développer une véritable passion
pour l’aérostation jusqu’au jour où, à la radio, un reportage sur un vol en montgolfière
l’interpela. Elle fut subjuguée par le récit du pilote en train de survoler la campagne
tourangelle. Quelques mois plus tard, elle se rendit à un rassemblement de montgolfières à
Reims et, hypnotisée par les ballons multicolores, elle vola pour la première fois ; aucune
appréhension lors de ce baptême de l’air, au contraire, une joie immense et un goût de liberté.
Hélène passa sa licence en 1975 et peu de temps après, elle reçut de la part de son mari, un
cadeau auquel elle ne s’attendait pas : sa première montgolfière. Comme il avait été décidé au
sein du club aérostatique de Champagne que tous les ballons qui y entreraient devraient porter
le mot « bulle », le sien reçut le nom de « Bulle Hélène ».
Elle participa à son premier championnat de France en 1976 et l’année suivante, à
Châteauroux, elle devint championne de France devant 32 hommes. Toujours en 1977, elle
représenta la France aux championnats du monde à York et eut la chance de se rendre à
Florence avec d’autres aéronautes pour faire de la figuration lors du tournage d’un film de
Sydney Pollack avec Al Pacino et Marthe Keller.
Puis une rencontre avec Michel Arnould, champion de France 1979, changea le cours de sa
vie.
A la conquête du record du monde de durée et de distance.
Pas plus qu’Hélène Dorigny, Michel Arnould, employé à la société Kodak, n’était prédestiné
à devenir pilote de montgolfière et champion du monde en 1979.
Lorsqu’ils se rencontrèrent, ils sympathisèrent aussitôt et Michel Arnould proposa à Hélène
Dorigny de l’accompagner à un meeting à Arosa en Suisse. Celle-ci accepta et s’ensuivirent
plusieurs vols en duo durant lesquels le champion qui avait déjà battu le record du monde
d’altitude fit part à sa coéquipière de son désir de s’attaquer avec elle au record du monde de
durée et de distance. Hélène fut aussitôt tentée par ce défi. Elle savait que les difficultés ne
manqueraient pas mais elle était passionnée par l’aérostation et s’entendait à merveille avec
Michel. Ils commandèrent à Bristol, en Angleterre, un énorme ballon d’un volume de 15 000
m3, noir, jaune et rouge, les couleurs de leurs sponsors Kodak, qu’ils appelèrent Sémiramis. Il
faisait exactement la hauteur de l’Arc de Triomphe, 49 mètres, mais ces dimensions
n’effrayaient pas Hélène qui avait toute confiance en Michel.
Ils partirent à la recherche d’un terrain d’envol le plus loin possible pour respecter les
contraintes de distance. Ils trouvèrent leur bonheur dans le comté de Mayo, en Irlande, au sein
du parc d’un château dont le propriétaire, sceptique au départ, accepta avec plaisir de
cautionner ce projet complètement fou. Le premier essai eu lieu le 13 juin 1981.
Malheureusement, cette année-là, les conditions météorologiques étaient épouvantables, il
pleuvait sans discontinuer et ils durent attendre plusieurs mois avant que le jour J, le signal de
départ leur soit donné.
Tous deux devaient apprendre à piloter ce ballon hors normes dans les conditions de
l’épreuve, c’est-à-dire avec le poids de 3,6 tonnes qu’il aurait au décollage.
Le 6 septembre 1981, Hélène et Michel quittèrent Reims mais durent attendre une accalmie
fin novembre pour mettre leur projet à exécution. Quand l’heure du décollage arriva, le vent
au sol leur était défavorable pour se diriger vers la France mais à une altitude de 3000 mètres,
une inversion se produisit qui les entraina dans la bonne direction. Dans les airs, ils
rencontrèrent de la neige, les vannes à bord givraient. S’ils ne pouvaient distinguer la mer
d’Irlande durant le survol, ils percevaient le son des cornes de brume, ce qui signifiait que la
visibilité était nulle au ras de la mer. Cette atmosphère particulière aurait pu inquiéter Hélène
et lui faire regretter de s’être lancée dans pareille aventure ! Or, pas une seconde une telle idée
ne lui traversa l’esprit, au contraire, elle se sentait dans son élément, en osmose avec son
coéquipier.
Ils survolèrent Dublin puis Bristol où le ballon avait été construit. La deuxième nuit, alors
qu’ils se trouvaient déjà en France, contrairement à ce qui était prévu, ils n’obtinrent pas la
moindre information météorologique, personne ne les appela, personne ne leur répondit. Ils
ignoraient donc s’ils faisaient ce qu’il fallait car, en 1981, ils ne disposaient pas des moyens
actuels de communication. Ils étaient alors dans une zone anticyclonique, le vent avait cessé,
des lumières scintillaient sous leurs yeux : ils restèrent des heures au-dessus d’Orléans. Le 26
novembre, au petit matin, ils se posèrent à Saint-Christophe en Boucherie, dans le Berry, à
proximité d’une ferme et d’un champ. Les buissons d’un bosquet déchirèrent légèrement la
toile mais cela n’avait guère d’importance, ils étaient à terre, ils avaient gagné ensemble et
étaient heureux. Les fermiers vinrent à leur rencontre. Ils leur confirmèrent qu’ils tournaient
depuis deux heures au-dessus du village. Hélène et Michel possédaient à bord une boite
plombée au décollage par un commissaire agréé, dans laquelle se trouvaient leurs montres
ainsi qu’un barographe également plombé ; l’un des villageois dut témoigner qu’ils ne
s’étaient pas posés entre le décollage et l’atterrissage.
Ils apprirent le 17 mars 1982 que leurs records avaient été homologués par la Fédération
Aéronautique Internationale.
Cette aventure avait scellé à jamais la connivence et la complémentarité qui existaient entre
Hélène et Michel. Ensemble, ils étaient prêts à relever bien d’autres défis !